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  • Les étudiants en médecine (24 mai 1968)

En mai et juin 1968, alors que les pavés volaient sur le Quartier Latin, à part l’équipée de mon capitaine incapable citée plus haut, je n’ai eu affaire qu’à peu de faits divers. J’étais à la brigade de nuit du 7e, siège de l’Hôtel Matignon, de l’Assemblée nationale et de presque tous les ministères. Aucun combat de rues sur le 7 ; lorsqu’un cortège se rendait du boulevard saint-Michel aux Champs-elysées, il passait devant la chambre des députés, super-protégée par les CRS, sans s’arrêter, pour traverser le pont de la Concorde.

C’est sûrement pour cette raison que, bien que disposant d’un effectif important, peu de prélèvements de personnel à destination du Quartier Latin m’ont été demandés par l’etat-Major. Pourtant, la nuit du 24 mai me réservait une surprise. La direction avait diffusé une info concernant le transport, par ambulances, de pavés et cocktail-molotov pour ravitailler les barricades ; des barrages avaient été installés sur divers carrefours pour intercepter les véhicules circulant sous le couvert de croix vertes, bleues ou rouges. La même nuit, un commissaire de police avait été tué à Lyon, écrasé par un camion lancé sur le service d’ordre. Une ambiance de siège régnait sur la ville. Pour une fois, mes effectifs avaient été disséminés un peu partout pour assurer des gardes d’émeutiers regroupés dans des centres de rétention. il ne me restait qu’un brigadier et trois gardiens. Le commissaire divisionnaire avait disposé un barrage à invalides-Grenelle. Entre 23 h 30 et 2 h, ses effectifs avaient conduit 48 personnes au poste central. J’avais pour mission de faire vérifier leurs identités, de conduire au centre Beaujon toute personne ne possédant aucun titre médical, soit : 36 et de libérer les porteurs de titre, soit : 12.

Le Commissaire divisionnaire, très affecté par la mort de son collègue de Lyon fit irruption dans le poste. il hurlait et tempêtait contre les manifestants allant jusqu’à crier : « Tuez-les tous ! » Avec mon brigadier, j’eus bien du mal à le maintenir jusqu’à ce qu’il se calme. . Plus tard, alors que je servais sous son autorité, j’ai su qu’il avait apprécié mon intervention.

Le 30 mai 1968 paraissait une édition spéciale du Nouvel observateur dont j’ai retrouvé un exemplaire dans mes archives (ainsi qu’une copie de mon rapport du 6 juin) relatant sous le titre “Un témoignage” des faits qui se seraient passés le 24 mai au poste central du septième arrondissement. Le journal précise : « on comprendra que nous préservons ici l’anonymat de la jeune femme dont nous publions le témoignage – suivent les noms de neuf metteurs-en-scène qui la connaissent bien et garantissent son honorabilité au-delà de toute mise en question – et qui continue ainsi : « J’ai été arrêtée par des CRS le vendredi 24 mai à minuit. J’étais à bord d’une voiture croix bleue. J’aidais une infirmière à évacuer des blessés dans les hôpitaux. J’étais donc infirmière bénévole. Nous avons été amenées au poste de police de la rue de Grenelle. Là on nous a mises dans une cage grillagée. Nous avons attendu quatre heures. De temps en temps les CRS apportaient des blessés qu’ils rouaient de coups puis un car nous a emmenées à Beaujon…etc. etc. ». Le reste de l’article concerne le séjour à Beaujon où le centre est décrit comme à Buchenwald.

Je ne ferai aucun commentaire sur le séjour à Beaujon où je n’étais pas. Certains faits cités sont peut-être exacts malgré leurs outrances, je dirai simplement que certaines blessures mentionnées ne pouvaient passer inaperçues ultérieurement et que les mensonges en ce qui concerne le septième me font douter de “l’honorabilité au-delà de toute mise en question de l’anonyme dénonciatrice”.

En revanche, au 7e, j’y étais et le mieux est que je recopie ici les extraits de mon rapport du 6 juin 1968, en réponse justement à l’article du Nouvel observateur : « … Pour séparer les porteurs de cartes de médecins, étudiants en médecine, infirmiers ou secouristes des autres manifestants, j’ai placé les uns à droite, les autres à gauche. il s’est trouvé que, manquant de place, j’ai utilisé cette cage qui, je le précise, n’a pas été fermée. Le dernier convoi est parti à deux heures et non à quatre comme dit l’anonyme, si ces départs ont tardé, c’est parce que je ne disposais pas de cars de transport.

Au cours d’une arrivée de manifestants, un jeune homme à bout de nerf, s’est laissé tomber sur le sol en proie à une crise nerveuse voisine de l’épilepsie. Ces renseignements de caractère médical, m’ont été fournis par monsieur Claude, interne à Marmottant se trouvant parmi les détenus, qui soit dit en passant, aurait fort bien pu remarquer les éventuelles blessures ou mauvais traitements. Ne disposant d’aucun véhicule pour le transport à l’hôpital et bien que monsieur Claude se trouvait réglementairement à la disposition de l’Etat-Major comme manifestant arrêté, je l’ai autorisé à utiliser son véhicule personnel pour conduire le malade à Laennec. Ce qu’il a fait, assisté d’un infirmier également arrêté. Ces deux personnes m’ont donné leur parole qu’ils reviendraient se mettre à ma disposition et ont tenu parole… avec quatre jeunes gens se disant appartenir au service d’ordre de l’Union Nationale des etudiants de France (ces derniers conduits à Beaujon) m’ont remercié, avant leurs départs, de la correction qu’ils avaient trouvée au cours de leur séjour au central 7e ». Fin de citation du rapport du 6 juin 1968.

Pendant cette période troublée, ce genre de rapports entre manifestants et policiers n’était pas un cas unique. Je me souviens de deux gardiens de la paix descendant le boulevard saint-Michel pour se rendre à la Préfecture de Police et pris à parti par une bande de casseurs qui avaient dû leur salut à un groupe de membres du service de l’ordre de l’Unef les encadrant jusqu’à leur destination.

Moi-même, rentrant chez moi à trois heures du matin, je charge en stop un jeune couple au Petit Clamart. ils rentraient chez eux à saclay ; plus d’autre moyen de transport. Lorsque j’ai ouvert ma portière, en voyant mon uniforme, puis mon casque et mon équipement sur le siège arrière, ils eurent un mouvement de recul. « Montez-donc, à cette heure-ci, la guerre est finie, c’est la trêve, nous reprendrons ça demain », ironisai-je ! ils montèrent et s’aperçurent que d’un bord comme de l’autre, on pouvait toujours trouver un moment d’entente.

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